mardi 8 juillet 2008

Dans le sillage de Rolf le marcheur






Jeudi 3 juillet 2008

Nous appareillons de Caudebec à 09h30. Ciel de traine et larges embellies pour la journée. Il nous reste un peu plus de 36 nautiques à parcourir dans les boucles de la Seine pour venir nous accoster rive gauche à Rouen. Le flot est avec nous et je calcule que nous devrions mettre un peu moins de six heures.
Les bords de Seine sont magnifiques et à cette époque de l’année ils sont très verdoyants, à certains moments, de hautes collines de jade de part et d’autre constituent un couloir où parfois s’engouffre le vent en fonction de l’orientation des boucles. Nous essayons de jouer avec cette configuration particulière du fleuve pour envoyer ou affaler la voile et faire en sorte que Dreknor apparaisse le plus souvent possible tout dessus. Les enfants rencontrés ici et là s’enthousiasment et agitent leurs petits drapeaux en criant. Un peu plus loin, un touriste norvégien nous salue avec les couleurs de son pays. Un français fait de même à quelques pas de lui. Je songe à cette image des deux pays ainsi unis à bord et me promet d’embarquer ma flamme d’Oslo pour l’agiter à mon tour lors de la descente le 14 juillet, surtout lorsque nous croiserons les trois voiliers blancs, le Christian Radich, le Sorlandet et le Statsraad Lehmkuhl.
Dans l’immédiat, ce sont plusieurs bateaux qui viennent nous doubler à babord et à chaque fois ce sont des échanges de salut ponctués de coups de cornes. Le Grand Turc britannique le premier dont nous rêvons de partir à l’abordage, Le Cisne Branco (cygne blanc) brésilien nous apporte quant à lui sa musique d’outre atlantique, ils jouent sur le spardeck. Un grand moment de plaisr, nous calons notre vitesse sur eux pour profiter pleinement de cette joyeuse ambiance. L’amerigo Vespucci, très haut sur l’eau, mâts de hunes de misaine et de grand mat démontés, nous rattrape également.
Nous passons à proximité de l’abbaye de Jumièges, l’attaque de l’abbaye est bien sur évoquée et nous parlons de ces traces d’incendie encore visibles de nos jours sur ce visage d’une fresque peinte, dont le regard figé pour l’éternité témoigne de la violence de ces temps anciens. Nous abordons bientôt la dernière boucle et nous envoyons au niveau du terminal porte conteneurs de Grand Couronne. Notre présence anachronique surprend les employés des compagnies maritimes qui n’en reviennent pas et leurs chaleureux saluts nous vont droit au cœur. La brise est faible et nous cherchons à faire porter au mieux notre voile qui faseye de temps à autre, déventée lorsque nous lofons un peu trop près de la rive droite. Des pattes de chat nous signalent les risées devant l’étrave, nous apprenons à barrer finement à leur recherche. Le pont Gustave Flaubert apparaît enfin, en aval, sur la rive droite, c’est déjà l’Armada et de nombreuses personnes déambulent sur le quai, l’émotion m’étreint, je ne peux retenir un cri que je veux le plus sonore possible et je hurle, les mains en porte voix un puissant « Rollon, nous voilà ! » sur le pont, tout le monde est surpris et se retourne. Je suis heureux de mon effet de surprise et je suis sur d’avoir été entendu jusqu’à ce coin du parc d’Alesund en Norvège où le premier duc de Normandie possède sa statue offerte par la ville de Rouen, il y a de nombreuses années. Je me revois à ses pieds, j’avais 20 ans et un col bleu sur les épaules…ce raccourci temporel m’émeut. Je suis à bord aujourd’hui, est–ce vraiment un hasard ? Odin veille sur moi. Je passe la barre et me saisit de ma caméra pour figer l’instant où le tablier du pont sera au dessus de nos têtes. Nous sommes le seul voilier à rentrer sous voile, le petit langskip, frêle silhouette parmi les géants, témoigne de ses illustres prédécesseurs et emporte à son bord tout le glorieux passé de ces marins d’exception. Dreknor honore son rendez vous avec l’histoire.

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